ENR, stockage et gestion de l’énergie - La synthèse

ENR, Stockage et gestion de l’énergie
LA SYNTHÈSE

(Table ronde organisée le 13 novembre 2020)

Pierre-Franck Chevet, Président d’IFPEN : ouverture
François Kalaydjian, Directeur Économie et Veille (IFPEN) : animation de la table ronde

Quelle place pour le stockage d’énergie dans la prospective énergétique de l’Ademe ?

Valérie Quiniou-Ramus, Directrice exécutive de la Prospective et de la Recherche (Ademe)

Dans le cadre de sa mission comme agence de l’État, l’Ademe soutient le développement des politiques publiques en contribuant à définir la stratégie nationale bas carbone. Récemment, l’agence a décidé de poser un cadre de réflexion prospectif et structurant, impactant par voie de conséquence la place potentielle du stockage de l’énergie dans l’avenir de la France. 

S’il était question jusqu’ici d’une vision neutralité carbone à l’horizon 2050, l’Ademe travaille désormais à plusieurs scénarios contrastés. Evalués d’un point de vue ressources (matière, biomasse, sols), ils seront également accompagnés d’un volet territorial. Enfin, en les comparant sur la base de critères technico-économiques et environnementaux, l’agence pourra estimer leurs conditions de réalisation ainsi que leurs conséquences. Les trajectoires de ces scénarios intéressent autant que les objectifs, c’est pourquoi l’exercice prévoit des points d’étape tous les cinq ans. 

Pour s’assurer de la cohérence et la richesse de ces scénarios, l’Ademe a par ailleurs déjà entamé un dialogue avec des parties prenantes externes et s’est doté d’un comité scientifique, constitué de membres volontaires du conseil scientifique de l’Ademe, du haut conseil pour le climat et de personnalités scientifiques. L’exercice prospectif comportera enfin une perspective stratégique sur quelques filières clés. 

Elle souhaite également être force de proposition en vue des débats qui prendront place dans le cadre des futures élections présidentielles. L’objectif est de montrer qu’il existe plusieurs options possibles avec des implications économiques, sociales, environnementales et territoriales différentes et que la neutralité carbone requiert une prise de décisions politiques.

Ces scénarios, au nombre de quatre, s’accompagnent d’un scénario tendanciel dit « Business as usual » : 
1.    sobriété et territorialisation dans l’urgence ; 
2.    soutenabilité avec rééquilibrage territorial et coopération ;
3.    techno-push et métropolisation ;
4.    pari technique pour préserver les modes de vie modernes.

Très schématiquement, les scénarios 1 et 2 prennent place dans le cadre d’un marché marqué par une baisse de la demande énergétique et d’une décentralisation territoriale tandis que les scénarios 3 et 4 au contraire sous-tendent une offre décarbonée, l’utilisation de puits naturels de CO₂ et/ou de technologies de CCUS, et un pilotage national et européen du système énergétique.

Quel est la place du stockage dans ces différents scénarios ? À ce stade, il est certain que ce n’est que par le biais d’un panel de solutions, dont le stockage, que la France pourra répondre à ses besoins énergétiques. L’agence communiquera les technologies jugées les plus pertinentes au début de l’année 2021.

Mieux gérer les capacités des installations et flexibiliser le réseau énergétique

Arnaud Vazeille, responsable Stockage et Centrale virtuelle (EDF Renouvelables)

Le stockage d’électricité possède deux caractéristiques majeures : d’une part, c’est une technologie récente en évolution rapide et, d’autre part, le stockage facilite des offres nouvelles pour un producteur d’énergies renouvelables.

D’abord, l’impulsion de la mobilité électrique a contribué à accélérer l’industrialisation de la technologie de stockage lithium-ion. Les progrès technologiques dans ce domaine sont très rapides et difficiles à prédire.

Comparée à l’éolien ou au photovoltaïque, cette technologie est cependant assez singulière, car elle s’accompagne également de nouveaux risques et de premiers retours d’expériences négatifs : des projets arrêtés prématurément pour cause de dégradations ou, plus grave, des incendies signalés aujourd’hui sur plusieurs continents. Une réalité qui nécessite un cadre normatif, la coopération entre les différents acteurs de la chaîne de valeur et une maîtrise industrielle en termes de performance et de sécurité. 

Outre la technologie lithium-ion, EDF Renouvelables est également actif dans le domaine des batteries à flux et du stockage thermique, des technologies qui n’ont pas encore le même niveau de maturité ou de flexibilité de déploiement (seuil sur la taille minimum) que le stockage lithium-ion, mais qui sont prometteuses pour du stockage de plus longue durée, un enjeu d’avenir. EDF Renouvelables envisage aussi l’hydrogène, mais davantage pour la décarbonation de certains domaines industriels que comme moyen de stockage. 

Après s’être confrontée à des systèmes électriques mondiaux très divers dans leur organisation, leurs mix énergétiques ou leurs mécanismes d’incitation, EDF Renouvelables observe une tendance générale vers une demande de production d’énergies renouvelables plus adaptée aux besoins locaux. 

Dans le cadre d’un appel d’offre en Guyane par exemple, notre entreprise a mis au point un nouveau profil de production intermittente d’origine photovoltaïque. En trapèze, il remplace la forme en cloche classique qui suit l’ensoleillement (et est impacté par le passage de nuages). Plus récemment, une enchère hybridant le photovoltaïque au stockage en Israël a permis de produire de l’électricité sur quatre créneaux d’une heure définis à l’avance et de vendre le reste de la production en fonction de l’ensoleillement. Encore plus récemment, un exploitant de réseau a souhaité pouvoir moduler la totalité de la production d’une centrale en Afrique du Sud.

Ces exemples sont issus de zones où l’exploitant de réseau définit les caractéristiques techniques et propose un contrat d’achat long terme de l’énergie produite. Le problème se pose différemment dans les zones régulées, où les acteurs privés identifient ou anticipent les contraintes du système et prennent éventuellement la décision d’investir. La valorisation des batteries sur les différents marchés impliquent des exercices prospectifs complexes et un haut niveau de risques. EDF renouvelables a pour sa part décidé de construire deux grosses batteries au Royaume-Uni.

EDF Renouvelables observe enfin que la transition énergétique n’est plus exclusivement poussée par une baisse du prix du kilowattheure renouvelable : certains clients acceptent de payer plus cher des systèmes hybrides du fait de l’augmentation de la valeur du kWh produit. 

Fonctionnement et avantages des batteries à flux

Guillaume Chazalet, Président (Kemiwatt)

Les batteries à flux (ou flow battery), application spécifique du stockage d’énergie stationnaire, ont vocation à rejoindre le panel de solutions qui seront nécessaires pour répondre aux différents enjeux énergétiques. 

Avant de pouvoir s’insérer sur le marché, une technologie doit remplir plusieurs conditions : se différencier vis-à-vis d’autres solutions, limiter son impact environnemental, garantir une sécurité optimale, s’adapter à des besoins évolutifs, réduire la dépendance aux importations, et enfin être viable économiquement. 

Kemiwatt a pris en compte tous ces éléments au moment de choisir de développer la technologie de la flow battery organique. Utilisée comme une batterie classique, elle consiste à dissoudre des molécules organiques actives dans l’eau pour stocker l’énergie. Le fait que la réaction électrochimique ait lieu à l’intérieur des molécules en constitue le facteur impactant et différenciant. 

Kemiwatt a établi la preuve de concept via la mise en place de prototypes et de démonstrateurs, afin de valider son fonctionnement et les applications en cohérence avec les demandes des opérateurs.

Pour le moment, les tests menés ont fait la démonstration de plusieurs avantages : la flow battery n’utilise pas de métaux précieux ou de terres rares et les molécules sont recyclables. Par ailleurs, cette solution est sûre, car il n’y a pas de risque de feu et d’explosion, mais aussi modulaire, car elle permet de découpler l’énergie et la puissance et donc de remplir les réservoirs d’eau en fonction des besoins. Kemiwatt vise pour sa part des marchés avec des besoins compris entre 3 heures et 12 heures de stockage. 

Le choix s’est porté sur un dispositif simple doté de matériaux standards déjà éprouvés afin de garantir la durée de l’opération et faciliter l’exploitation. Il peut enfin fonctionner dans les environnements relativement chauds, le fait de travailler dans un milieu aqueux l’affranchissant de fait des contraintes de températures.  

La technologie de flow battery connaît un développement avancé : après une intervention à l’université de Rennes, Kemiwatt a signé son premier contrat pour la mise en place d’un système combinant des ombrières, une borne de recharge électrique et sa technologie, tout en continuant d’échanger avec d’autres partenaires sur des projets similaires. 

Kemiwatt souhaite cependant continuer d’améliorer cette solution de stockage pour aboutir à des systèmes d’une durée d’utilisation de 20 ans (ou 20 000 cycles) et pouvoir varier les applications au sein de différents marchés (les micro-réseaux, les services réseaux, l’intégration des énergies renouvelables). Les collaborations avec IFPEN visent notamment à en optimiser les rendements pour en faire une solution encore plus compétitive.

Les apports de la R&D IFPEN et la place du stockage dans les villes de demain

Daniel Averbuch, responsable du programme Stockage d'énergie (IFPEN)

IFPEN travaille sur diverses technologies de stockage dont les applications concernent des lieux, des échelles de temps et de quantité d’énergie différents. 

La première, le stockage par air comprimé dans des cavités salines, est adaptée au stockage de grande capacité (100 mégawatts et plus) et de longue durée (plusieurs heures). Lors de sa compression, l’air génère de la chaleur qui est ensuite stockée dans des réservoirs avant d’être restituée. IFPEN vise l’amélioration des rendements (jusque 70 %) et la réduction des coûts, notamment via une gestion la plus efficace possible des flux de chaleur.

Dans d’autres gammes de puissance et de quantité d’énergie, IFPEN travaille également, notamment en collaboration avec Kemiwatt, sur les batteries à flux. L’objectif est la caractérisation des performances à plusieurs échelles afin d’identifier les meilleures solutions technologiques, mais aussi l’optimisation globale du rendement par des travaux de simulation pour en parfaire la conception. 

La dernière famille de solutions concerne les batteries lithium-ion de 4^e génération dites « tout solide » et les batteries lithium-soufre, des technologies moins matures et aux horizons de temps plus lointains. IFPEN propose de nouvelles formulations de matériaux en s’appuyant sur les compétences de ses équipes dans le domaine de la catalyse. 

Les travaux IFPEN portent en outre sur le développement de systèmes de gestion d’énergie (EMS – Energy Management Systems) efficaces, afin de piloter au mieux le fonctionnement des batteries, et en particulier leur durabilité. Pour ce faire, IFPEN s’appuie sur les compétences acquises dans le domaine des transports au sein duquel ses équipes ont caractérisé et modélisé le fonctionnement et le vieillissement de nombreuses filières de batteries. 

Selon IFPEN, le stockage et la gestion de l’énergie comporte deux enjeux d’importance : d’une part, le stockage permettra in fine d’optimiser les modèles économiques de l’autoconsommation à l’échelle locale, c’est-à-dire la quantité d’énergie produite et consommée localement ; d’autre part, les batteries des véhicules électriques promettent d’offrir des capacités de stockage considérables, à condition de pouvoir en maîtriser la charge et la décharge. 

En résumé, le stockage repose sur un panel de solutions à mobiliser en fonction des applications et des besoins des réseaux tant globaux que locaux. La connaissance de l’ensemble de ces technologies permettra de sélectionner, en fonction des modèles économiques et des besoins technologiques, les bonnes solutions aux bonnes échelles.
 

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