L’injectivité dans les formations géologiques est un enjeu connu de longue date dans la production pétrolière (récupération assistée) mais qui perdure dans des domaines d’activités liés aux énergies nouvelles et au climat (géothermie, stockage souterrain de CO2, etc.). Les pertes d’injectivité, qui résultent du colmatage des formations géologiques, sont un problème récurrent lié au fait que les eaux réinjectées sont fréquemment chargées en éléments organiques et minéraux en suspension, sous forme de particules colloïdales.
Pour tenter de remédier à ce colmatage ou tout au moins le minimiser, il est important de bien comprendre les mécanismes à l’œuvre.
Le phénomène de transport et de dépôt de particules en milieu poreux a été largement étudié par le passé, notamment à l’aide de mesures de perméabilité sur des carottes de roche (corefloods). Son effet quantitatif sur cette propriété est donc bien documenté mais, en raison de l'opacité des roches, on manque de connaissances sur les mécanismes qui se produisent à l'échelle des pores.
Ces dernières années, les progrès des outils d'imagerie et de visualisation ont permis d'étudier les phénomènes à cette échelle. Avec ces outils, des résultats clés sur la dynamique du colmatage ont été obtenus par couplage à la microfluidique, cette méthodologie permettant de contrôler précisément et de manipuler de très petits volumes de fluides1 dans des microstructures confinées. De plus, les développements récents des techniques de gravure offrent la possibilité de reproduire la complexité des milieux poreux réels. Le couplage de toutes ces techniques permet ainsi de visualiser directement l’écoulement pour décrire de manière pertinente les phénomènes impliqués à l’échelle locale.
Lors d’un travail de thèse réalisé à IFPEN2 en collaboration avec l’ICMCB3, la problématique de dépôt et de colmatage a été étudiée via une approche microfluidique combinant deux techniques de visualisation : l'imagerie optique [1] et l'imagerie par fluorescence induite par laser [2]. Les micromodèles employés (Fig. 1(a)) présentent des géométries inspirées d’images de réseaux poreux dans de la roche réelle. Une suspension modèle de particules micrométriques avec des charges répulsives4 a été utilisée. Le couplage entre observations multi-échelles (Fig. 1(b), (d)) et mesures macroscopiques (pression et concentration) (fig. 1(c)) a permis une caractérisation fine des mécanismes agissant à l’échelle du pore et de mieux comprendre les phénomènes en jeu, dépendant à la fois de l’hydrodynamique (vitesse, géométrie des pores) et des interactions particule-particule et particule-matrice solide (forces DLVO5).
En recoupant les caractéristiques de dépôts obtenues expérimentalement avec les champs de vitesse établis par simulation numérique, cette étude réalisée dans les conditions de réinjection de fluides géothermiques (petites particules, fort débit, milieux poreux perméables) a permis d’identifier les différents sites et régimes de dépôt ainsi que de décrire les mécanismes de colmatage. Un des résultats majeurs obtenus est la mise en évidence d’un phénomène d’agrégation induit par cisaillement [3]. Les sites de dépôt, qui constituent des pièges principalement dictés par les lignes de courant dans le milieu poreux, engendrent la surconcentration locale en particules selon cinq configurations : dans le sillage de grains solides, aux points de stagnation, dans les régions sans écoulement, à la confluence de deux flux locaux ou à l’entrée d’un seuil de pore étroit. Cette surconcentration locale en particules, lorsque couplée à un fort cisaillement local6, induit alors la formation d’agrégats.
Le phénomène d’agrégation hydrodynamique est fortement favorisé par les débits d’injection élevés et présente un risque majeur qu’il faut bien anticiper et contrôler. En effet, ces agrégats irréversibles peuvent se former même lorsque les fluides sont finement filtrés et peu concentrés en particules. Ils sont facilement entraînés par l’écoulement, sans être cassés, jusqu’à colmater des seuils de pores par simple exclusion géométrique, les agrégats étant trop grands pour circuler.
La cinétique de cet endommagement a été étudiée en fonction de la concentration et de la taille des particules ainsi que du débit d’injection. Des interprétations basées sur les observations locales et sur les mécanismes mis en évidence ont ensuite été proposées. Enfin, l’ensemble des résultats obtenus grâce à la microfluidique a été validé sur des systèmes plus réels (par exemple une suspension de particules de polystyrène dans des massifs reconstitués de sable ou des particules d’argiles dans les micromodèles) et ont débouché sur des pistes de remédiation du phénomène.
1- De l'ordre du micro voire du picolitre.
2- Anne-Sophie Esneu, Etude des mécanismes d’endommagement des formations lors de la réinjection des fluides géothermiques, Université de Bordeaux, 2024.
3- Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux - UMR 5026 du CNRS.
4- Pour éviter l’agrégation préalablement à l’injection.
5- Derjaguin, Landau, Verwey, Overbeek.
6- Cisaillement consécutif à l’écoulement du fluide en présence d’un aménagement aléatoire des grains.
Références :
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A.-S. Esneu, C. Marlière, L. Nabzar, A. Erriguible, S. Glockner, S. Marre and J. Boujlel. Transport and clogging of colloidal particles: effects of concentration and geometry of the porous medium. In Proceedings of World Geothermal Congress 2023, Beijing, China, October 2023.
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A.-S. Esneu, V. Ricordeau, A. Perez, G. Pilla, M. Bardi and J. Boujlel. The use of Laser-Induce Fluorescence Imaging to investigate transport phenomena of complex fluids in a 2D porous medium. To be submitted in Transport in Porous Media
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A.-S. Esneu, A. Erriguible, S. Glockner, S. Marre and J. Boujlel. 2D heterogeneous porous medium permeability reduction by shear-induced aggregation. To be submitted in Physics Review Letters.
Contacts scientifiques : anne-sophie.esneu@ifpen.fr et jalila.boujlel@ifpen.fr